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INCLUSION DANS LES ENTREPRISES : IL FAUT UNE VOLONTÉ CLAIRE DU DIRIGEANT

Le Club des entreprises inclusives 35 (CEI35), devenu « Les Entreprises s’engagent, club d’Ille-et-Vilaine », fédère les dirigeants qui souhaitent être pionniers en faveur de l’inclusion. Entretien avec Éric Challan-Belval, président de la Feuille d’Érable et du Mouvement des entreprises d’Ille-et-Vilaine.

Comme le Club des entreprises inclusives 35 est-il né ?

En avril 2019, nous avons été le premier club français à être créé en France, sous l’impulsion de l’Élysée et de grands groupes engagés dans l’idée d’une entreprise plus inclusive. Par la suite, les territoires ont été encouragés à s’approprier cette initiative, et c’est ainsi que l’Ille-et-Vilaine a pris part au mouvement. Notre département a été d’ailleurs en avance comme souvent par rapport à d’autres régions.

Parce que vous êtes aussi dans ce domaine…

Je suis en effet directeur de la Feuille d’Érable, entreprise inclusive par essence. A cette époque, j’étais aussi au bureau du Medef et les sujets liés à l’inclusion étaient déjà très discutés. C’est pourquoi il nous est apparu naturel de prendre le « leadership » sur cette question, en tant que représentants des sociétés, qu’elles soient petites ou grandes.

Avec qui avez-vous collaboré pour monter ce projet ?

Ce club est représentatif de notre capacité à accomplir des réalisations significatives sur notre territoire et à travailler de manière productive avec d’autres institutions lorsque cela est nécessaire. Nous avons collaboré étroitement avec l’État, en particulier avec la direction du travail, ainsi qu’avec le département.

Quelle était votre volonté originelle ?

Notre but était de s’adresser et de parler aux entreprises. Il était de créer un club réellement utile, efficace et pertinent pour les dirigeants. Nous voulions donner la « bonne » boîte à outils. Pour mettre en avant les sociétés inclusives du territoire, nous avons imaginé remettre des trophées. L’objectif était de valoriser ces entreprises et de donner envie à d’autres de s’engager. La dernière cérémonie s’est tenue en mai, avec cinq lauréats.

Que deviennent les anciens gagnants ?

Nous avons pris le temps de suivre leur évolution et de voir comment ils poursuivaient leur engagement en faveur de l’inclusion. En mettant en place des actions dans leur entreprise, nous avons observé qu’ils ne les abandonnent pas. Ils continuent au contraire à se lancer et à promouvoir l’inclusion. Notre initiative n’est pas qu’un simple événement ponctuel, mais elle a eu un impact durable sur les entreprises participantes.

Combien de membres sont-ils adhérents au club ?

Aujourd’hui, nous sommes environ 125. Mais nous aurions pu facilement atteindre 250 ou 300 en dix ans si nous avions privilégié la quantité plutôt que la qualité de l’accompagnement et des rencontres que nous proposons. Nous avons choisi de travailler sur des thèmes spécifiques, tels que l’inclusion des jeunes, des seniors, des réfugiés, des déplacés d’Ukraine ou des différents genres. Cette dernière question est particulièrement importante ; car de nouvelles orientations sexuelles peuvent être exprimées par les employés et nous, en tant qu’employeurs, nous devons y être attentifs. Nous avons recensé une quinzaine de sujets différents pour lesquels les sociétés peuvent manifester leur intérêt et formaliser leur engagement pour l’année à venir.

Comment aidez-vous les dirigeants ?

Une entreprise peut décider de choisir telle ou telle inclusion. Dans ces cas-là, nous la mettons en contact avec d’autres qui ont déjà réussi à lancer des initiatives similaires. Nous organisons alors des réunions thématiques pour qu’elles puissent échanger et partager leurs expériences.

Quelles sont les démarches entamées pour accueillir les exilés ?

En collaboration avec la préfecture, des efforts ont été déployés pour prévoir leur hébergement. Pour favoriser leur intégration, il ne suffit pas de les embaucher : il est nécessaire de leur fournir un logement et un endroit pour cuisiner et héberger leur famille. Notre territoire a toujours été très impliqué dans l’accueil des réfugiés et bénéficie d’une expertise en la matière, grâce notamment à l’équipe Medef 35, qui accompagne chaque année environ 40 à 50 personnes. Des entreprises, comme Lidl à Liffré ou Import Elec à Pacé, ont participé à l’effort d’intégration en prenant à leur service des Ukrainiennes et en leur proposant un contrat de travail. Trois embauches chez Lidl et deux à Pacé.

Comment procédez-vous pour les personnes en détention ou sous contrôle judiciaire ?

Certaines entreprises pratiquent l’inclusion des personnes sous main de justice, sans souhaiter nécessairement communiquer sur cette pratique. C’est un sujet important pour la cohésion sociale du pays, car il est difficile pour ces personnes de se réinsérer après avoir purgé leur peine de prison. Si aucune passerelle n’est trouvée pour faciliter leur réintégration, elles ont tendance à retomber dans leurs anciens travers. Nous travaillons donc en collaboration avec les acteurs pénitentiaires pour dénicher des solutions entre la maison d’arrêt et la sortie. Certaines personnes postulent en amont, sachant qu’elles seront libérables à une certaine date. Après un entretien avec l’entreprise, elles obtiennent un accord du juge d’application des peines. Cela leur permet d’avoir une perspective.

Comment cela se passe-t-il au quotidien ?

En général, nous n’avons que très peu de problèmes avec les personnes sous main de justice que nous accueillons régulièrement dans nos entreprises. Elles ont conscience de l’épée de Damoclès qui pèse sur elles et savent que, dans certains cas, elles peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle. Le juge d’application des peines peut ainsi accepter, en fin de peine, qu’elles travaillent en journée et retournent en maison d’arrêt le soir jusqu’à leur libération. En général, ces personnes ont une forte volonté de ne pas retomber dans leurs anciens « schémas » de vie et nous n’avons pas de problème de comportement avec elles. Le seul souci que nous pouvons rencontrer concerne les personnes avec des addictions et qui ne suivent pas correctement leur traitement médical. Cependant, dans l’ensemble, tout se passe relativement bien, car beaucoup d’entre elles ont une véritable envie de se réinsérer dans la société.

L’inclusion peut-elle être synonyme de perte de temps ?

L’inclusion réussie de personnes aux profils atypiques n’est pas un processus facile. Cela nécessite une volonté claire des dirigeants. Car si la direction n’est pas volontaire, cela ne sera qu’une façade et cela ne fonctionnera pas. Il est avant tout nécessaire de trouver des relais au sein de l’entreprise, comme les ressources humaines ou tout autre service qui pourra assurer un suivi. L’adhésion des salariés est également primordiale. L’inclusion doit devenir presque un projet de société, qui peut même s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Il faut prendre en compte le comportement des personnes à intégrer dans l’entreprise…

La société doit se poser la question suivante : devons-nous faire un effort particulier afin d’embaucher de nouveaux profils que nous n’avons pas l’habitude de voir ? Nous pouvons être d’accord sur le principe, mais il ne faut pas se voiler la face, car ce n’est pas si simple. Si, par exemple, nous décidons d’accueillir une personne qui souffre de troubles autistiques, nous devons être conscients de son comportement atypique. Un autiste ne comprend pas toujours le second degré et aura tendance à ne pas interrompre sa tâche tant qu’elle n’est pas terminée. Il ne voudra pas aller à la pause-café si son travail n’est pas achevé ; ce qui pourrait être mal perçu par ses collègues. Si nous ne comprenons pas cela, nous risquons de prendre ce nouveau collègue pour quelqu’un de désagréable, alors que naturellement cela n’est pas le cas. Il est donc important de comprendre les particularités de chacun pour que l’entreprise puisse accueillir ces nouveaux profils avec succès.

Quel est l’intérêt de l’inclusion ?

Les profils atypiques coïncident parfaitement aux besoins de l’entreprise. Ils peuvent être parfois même plus productifs. Il est donc majeur d’aider les sociétés à ouvrir leurs portes, car cela correspond à une exigence sociétale tout en répondant aux souhaits de recrutement. Personnellement, je n’ai pas peur de dire qu’il y a un intérêt économique, surtout dans un contexte de pénurie de candidats.

Votre club est-il susceptible de secourir des entreprises pour accompagner d’éventuels problèmes d’intégration ?

En toute honnêteté, je ne peux pas le faire, car notre équipe est petite, composée de seulement sept personnes, et toutes ne sont pas dédiées à l’inclusion. Il est donc important que nous connaissions nos capacités d’accompagnement. Cependant, si nous avons vent de certaines difficultés, nous pouvons orienter les entreprises vers des personnes spécialisées dans ce domaine et les aider à comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas. Mais nous ne sommes pas là pour nous substituer à ce qui peut être fait par d’autres entités et de toutes les manières nous n’en avons pas les moyens. Nous ne sommes pas l’Inspection du Travail et imposer des règles rigides ne fonctionnera jamais.

Quels sont vos objectifs ?

Les déplacés ukrainiens ont été récemment à la une de notre actualité, mais il est probable que d’autres sujets émergeront dans les mois et les années à venir. La question des seniors va devenir de plus en plus essentielle et il faudra en parler davantage. En ce moment, j’essaie de me concentrer sur la question des sans-papiers, qui est un thème complexe et délicat.

Existe-t-il un profil de dirigeants inclusifs ?

Je pense que de plus en plus de chefs d’entreprise, qu’ils soient hommes ou femmes, ont compris l’importance des sujets sociétaux. Et pour moi, cela est crucial pour la marque employeur. Désormais, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) ne doit pas être simplement une façade, elle doit être intégrée dans l’ADN de la société. Les entreprises doivent se rendre compte de leur rôle sociétal. Car si un organisme n’est pas capable d’inclure des profils atypiques, elle aura des difficultés à recruter du personnel de tout type à l’avenir. La complexité réside toutefois dans la façon de mettre en œuvre les embauches, c’est là que nous intervenons pour les aider.

Tous les chefs d’entreprise sont-ils susceptibles de penser comme vous ? D’être inclusif ?

En France, il y a une tendance à critiquer le monde de l’entreprise, mais je crois que les dirigeants sont des pionniers courageux et novateurs. Chaque jour, ils naviguent en territoire inconnu, malgré l’incertitude et les imprévus qui peuvent surgir à tout moment, tels que l’inflation ou les tensions géopolitiques. Pour moi, ils sont les Christophe Colomb du XXIe siècle. Être chef d’entreprise, c’est comme être le pilote d’un navire. Il faut être capable de regarder la carte pour éviter les obstacles, d’anticiper les événements futurs et de prendre en compte les enjeux du pays que sont notamment l’inclusion et l’intégration dans les entreprises. Président du Club CEI 35, Eric Challan Belval, Sabrina Chantepie, 02 99 87 42 97.

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